Les vacances touchent à leur fin et les Tunisiens seront confrontés à la rentrée scolaire et universitaire. La dure réalité va les rappeler à leurs obligations et aux contraintes qu’ils vont affronter. De grandes dépenses les attendent pour l’achat des fournitures scolaires, des vêtements, des chaussures et tout le nécessaire pour leurs enfants. Un budget fort conséquent qui est la preuve que l’enseignement n’est pas gratuit, comme on a tendance à le répéter.
On a beau affirmer et réaffirmer à travers les constitutions et les textes de loi que l’enseignement en Tunisie est gratuit, mais dans la pratique tout le monde constate l’inverse. Les familles réservent, chaque année, un très gros budget pour faire face aux besoins de leurs enfants et leur assurer une scolarité normale. On estime à près de 500 milliards de nos millimes l’enveloppe réservée par les familles pour cet usage. Sans parler de la dynamique économique que déclenche cet événement. De plus, pour le ministère de l’Education le coût de la scolarité s’élève à plus de 1.400 D pour un élève du cycle primaire, à plus de 3.200 D pour un élève du cycle préparatoire ou secondaire. Il faudra multiplier ces chiffres par deux voire plus pour avoir une idée sur ce que nous coûte un étudiant. D’autant que l’on sait qu’il n’y a que 40% d’entre eux qui sont boursiers. Le reste est à la charge des familles ou sous perfusion grâce aux prêts universitaires.
Ecole à deux vitesses
De nombreuses familles s’endettent pour affronter cette échéance et passent toute l’année à rembourser des prêts contractés par-ci, par-là. L’important, pour eux, c’est de voir leurs enfants gravir les marches et se hisser aux plus hauts sommets. Tous les sacrifices sont, alors, justifiés à leurs yeux.
Mais il y a la grande désillusion qui les attend au bout du parcours. La scolarité ne se déroule pas comme ils l’entendent ou comme ils l’espéraient. Leur engagement et leur dévouement ne seront pas toujours payants puisque les choses vont se présenter différemment. Tout sera fait selon les nouvelles règles imposées par un nouveau système d’enseignement qui ne se base plus sur l’égalité des chances pour tous (comme cela devait être au départ) mais sur une école à deux vitesses. Désormais, on peut parler d’un parcours public pour le menu peuple et un autre pour ceux qui ont les moyens de payer un enseignement parallèle. Le premier fournira le strict minimum, tandis que l’autre s’offrira le luxe d’occuper les premières loges.
Concernant l’enseignement public, il y aura de nombreux points à soulever. Tout montre aujourd’hui qu’il est en perte de vitesse. Il est supplanté, en cela, par le privé qui gagne chaque jour en crédibilité. Le champ semble être libre devant ce secteur qui investit de plus en plus, notamment dans l’enseignement primaire ou supérieur. Le secteur public ne manifeste aucune réaction devant cette expansion et donne l’impression que cela l’arrange d’où l’accusation qui dit que l’Etat veut se débarrasser de l’enseignement public. Il est vrai que cette accusation est quelque peu exagérée mais elle n’en est pas, pour autant, logique.
Quand on voit ce qui se passe en lien avec la baisse du niveau de nos élèves, du manque de compétences de certains cadres éducatifs, de la désorganisation qui règne dans nos établissements scolaires, de l’absence d’une vie culturelle ou d’une certaine dynamique propre à cette catégorie de jeunes ainsi qu’à tant d’autres défaillances, force est d’admettre que la solution est loin d’être trouvée.
Disparités grandissantes
L’accumulation des problèmes durant de longues années fait qu’il est impossible de répondre aux besoins immédiats et de remettre sur pied ce qui peut l’être. Mais la tâche s’avère difficile, car il y a des résistances partout.
On commencera, tout d’abord, par les nouvelles habitudes instaurées depuis ces dernières années et qui concernent ce qu’on appelle les cours particuliers. Le phénomène a pris tellement de l’ampleur qu’il est devenu un danger réel qui menace tout le système éducatif. Aucun gouvernement n’a réussi à lui apporter la solution. Malgré toute la volonté des uns ou des autres, c’est l’échec total. Des réglementations ont été adoptées et des sanctions promises sans que cela ait eu le moindre effet. La prolifération des cours particuliers touche tous les niveaux et plusieurs matières (maths, physique, chimie, arabe, français, etc.). Bon gré, mal gré une grande partie des familles tunisiennes est obligée d’inscrire ses enfants à ces cours si elle veut leur garantir la réussite. Des enseignants consacrent le plus clair de leur temps à dispenser ces cours payants au détriment de leurs obligations dans les établissements publics qui leur servent des salaires.
C’est ce qui porte préjudice à la qualité de l’enseignement et à sa pérennité. En effet, l’enseignant concerné s’investit beaucoup plus dans ces activités extra-scolaires que dans l’établissement où il exerce. Le plus grave, c’est que certains élèves reçoivent des cours particuliers chez leurs propres enseignants. Ce qui est strictement interdit. Mais c’est pratiqué couramment. Cela favorise des élèves par rapport à d’autres et entraîne des disparités entre ceux qui prennent des cours particuliers et ceux qui ne le peuvent pas. Du coup, la notion d’égalité des chances n’a plus de sens.
Alors, ceux qui payent ont plus d’opportunités et peuvent obtenir des moyennes supérieures à leurs camarades qui n’ont pas les moyens de s’offrir des cours à domicile.
On s’interroge, donc, sur les mesures à prendre pour limiter ce fléau et, surtout, pour le moraliser. Car, il est vrai que beaucoup de parents jugent que ce qui est dispensé dans les classes est loin de répondre aux objectifs pédagogiques officiels. Ils exigent, par conséquent, ce “plus” qui manque. Mais est-ce le seul moyen de parvenir à ce but ?
Les abus enregistrés dans ce domaine sont de nature à pousser les autorités à réagir de façon plus efficace pour maîtriser l’extrême “gourmandise” de ces enseignants qui ont un goût très prononcé pour l’appât du gain facile. D’un côté, ils obligent les parents à faire de grosses dépenses pour soutenir leurs progénitures dans leur scolarité, mais qui, en même temps, sont à l’origine d’inégalités entre les enseignants qui donnent des cours payants et ceux qui ne veulent pas ou ne le peuvent pas. De ce fait, ces derniers se sentent lésés puisque leurs collègues gagnent beaucoup plus qu’eux. Ce qu’ils estiment injustifié. Ils ne se sentent, donc, pas plus motivés pour accomplir leur mission.
Les parents, de leur côté, sont entre le marteau et l’enclume. Ils ne peuvent pas priver leurs enfants de ces cours mais ne supportent pas qu’ils soient obligés de le faire moyennant des montants fort élevés (pas moins de 20 D la séance de 2 heures pendant toute l’année scolaire).
Les blocages
Ils ont peur de dénoncer les pratiques malsaines qu’ils constatent. Le ministère ne donne aucune garantie quant à la confidentialité se rapportant au lanceur d’alerte par le biais du numéro de téléphone mis à disposition. En outre, il n’y a aucune assurance sur le suivi. Aussi, les plaintes sont-elles très limitées. Les parents craignent des représailles contre leurs enfants si leur identité est dévoilée. Ce qui ne serait pas impossible vu qu’il n’y a aucune garantie pour celui qui signale un fait abusif. D’ailleurs, tout le monde sait ce qui se passe et les dépassements sont tout aussi nombreux mais les sanctions contenues dans les textes réglementant les cours particuliers ne sont pas activées. Si le ministère applique, rigoureusement, ces textes réglementaires en sanctionnant l’enseignant contrevenant, il y a risque de déclencher la colère des tout puissants syndicats de l’enseignement qui contrôlent tout et qui imposent leurs lois. C’est, surtout, là que réside l’un des nombreux blocages.
Pourtant, la question est cruciale et c’est au ministère de passer à l’action et de mettre en œuvre les solutions préconisées qui consistent à organiser des cours à l’intérieur de l’enceinte éducative. Les modalités pratiques méritent d’être débattues par toutes les parties impliquées afin de pouvoir les concrétiser sur le terrain. Et, surtout, à les imposer et à les mettre en œuvre.
Le phénomène des cours particuliers a approfondi gravement les disparités entre les différentes classes sociales et entraîné des barrières entre les camarades d’une même classe ou d’un même établissement. Les rapports entre enseignants connaissent, aussi, des frictions nées de cette injustice qui fait que l’un est payé plus que les autres alors qu’il fait le même travail parce que, tout simplement, sa spécialité lui donne cette possibilité d’obtenir d’autres salaires bien plus élevés.
Il serait regrettable de terminer ces propos par une note pessimiste. Mais c’est la réalité qui l’impose. On ne pourra jamais arrêter ni maîtriser ce fléau tant que les syndicats domineront le paysage et fouleront aux pieds toutes les mesures qui visent à mettre de l’ordre dans notre système éducatif. Contre tout bon sens !